Les fertilisants: un enjeu écologique
Le changement climatique et la dégradation de l’environnement constituent une menace existentielle pour l’Europe et le monde. Pour surmonter ces défis, le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal) vise à accompagner la transition vers une économie durable, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive. La Commission Européenne a adopté une série de propositions visant à rendre les politiques de l’UE en matière de climat, d’énergie, de transport et de fiscalité aptes à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990.
Parmi ces propositions, on compte l’adoption du nouveau règlement UE 2019/1009 sur le commerce des matières fertilisantes en Europe. Celui-ci se veut de contribuer à l’économie circulaire en permettant la libre circulation des fertilisants certifiés CE entre les États-Membres de l’UE, dans le but de favoriser le retour des matières organiques au sol et ainsi le stockage de carbone et le recyclage des nutriments. Pour obtenir cette certification CE, les fertilisants doivent répondre à une série de critères en termes de qualité qui peuvent être plus ou moins stricts que ceux des systèmes de certification fédéraux. Les réglementations fédérales en termes d’utilisation des matières sont donc perturbées par le fait qu’elles doivent considérer un marché de matières fertilisantes provenant de deux systèmes de certification différents.
En Belgique, les matières organiques fertilisantes sont considérées, d’un point de vue législatif, comme des sous-produits animaux (SPAn) ou comme des déchets. Leur valorisation sur sol requiert, en plus des critères de qualité, l’organisation du suivi et de la traçabilité de leur usage. Ces exigences sont reprises dans différents textes de lois européens et régionaux tels que le Règlement SPAn – CE 2019/1069, la Directive déchets 2008/98/CE, l’AGW Déchets et sous-produits 28/02/2019 ou encore l’AGW Boues 12/01/1995. La certification européenne des matières fertilisantes contourne ces exigences de suivi et de traçabilité par le fait que les matières ne sont plus considérées comme des déchets ou des SPAn mais bien comme des matières fertilisantes ou des amendements de sol, pour lesquels aucun système de traçabilité n’est prévu. Or, en fonction de leur origine certaines matières organiques sont susceptibles de contenir des contaminants (Éléments Traces Métalliques – ETM, Composés Traces Organiques – CTO, impuretés) et ainsi de porter atteinte à la qualité des sols sur lesquels elles sont épandues.
En conséquence, il est nécessaire de réorganiser la législation sur l’utilisation des matières fertilisantes de sorte à y inclure l’usage des fertilisants certifiés CE. À l’échelle de la Wallonie, c’est la Direction de la Protection des Sols (DPS) du Département du Sol et des Déchets (DSD) qui gère cette législation. Le projet d’AGW-Fertilisants a été financé par la DPS pour répondre à ce besoin.
Distinguer les matières à risques des matières sûres
Le projet consiste en une étude pré-législative visant à fournir les bases scientifiques nécessaires à la rédaction d’un arrêté du gouvernement wallon (AGW) réglementant l’utilisation des matières organiques fertilisantes sur les sols en fonction de la qualité des matières et des sols receveurs.
La DPS est en charge de la coordination du projet dans son ensemble. Les tâches scientifiques et techniques sont partagées entre trois groupes de travail composés de membres des unités Sols, Eaux et Productions Intégrées (unité 7) et Agriculture, Territoire et Intégration Technologique (unité 6) du CRA-W et de l’ISSeP (Institut Scientifique de Service Public).
Le premier groupe de travail (CRA-W U7 : H. Van Der Smissen, B. Hardy, B. Huyghebaert) a pour mission de classer et caractériser les matières susceptibles d’être utilisées en Wallonie et de proposer une révision des restrictions d’usage sur base de critères objectifs. Le second (ISSeP : P. Jacquemin et M. Veschkens) vise à établir des normes de flux en contaminants pour chaque type de sol receveur (naturel, agricole, résidentiel, récréatif ou commercial, industriel) de sorte que l’épandage de matières fertilisantes n’engendre pas de risque toxicologique pour les eaux souterraines, pour la santé humaine ni pour les écosystèmes. Le troisième (CRA-W U6 : D. Maillard, V. Planchon) a pour mission de développer un outil informatique d’enregistrement et de traçabilité des données générées par l’enregistrement des matières et leur épandage.
Dans le cadre du projet européen EOM4SOIL dans lequel est impliqué l’U7 du CRA-W, une des missions est de faire l’inventaire des compositions moyennes des matières organiques fertilisantes utilisées en Wallonie. Cet inventaire servira de base à la construction d’une analyse de risque destinée à mettre en évidence quelles matières sont exemptes de risques et lesquelles peuvent potentiellement porter atteinte à la qualité des sols et nécessitent une restriction d’usage au-delà de ce qu’impose la Directive Nitrates et une traçabilité accrue. À ces restrictions d’usage en fonction de la qualité des matières s’ajouteront les restrictions d’usage liées à la qualité des sols receveurs.
Le calcul des restrictions d’usage s’effectuera via un Système d’Imposition du Suivi et de la Traçabilité En fonction du Risque pour les Sols (SISTERS) inclus dans l’outil informatique d’enregistrement des matières. En parallèle, une base de données des informations relatives aux producteurs et aux matières sera alimentée continuellement au fil des enregistrements.