Le projet consiste en un survey sur le territoire belge de 9 organismes repris sur la liste d’alerte de l’OEPP : la bactérie Curtobacterium flaccumfaciens pv. poinsettiae, les nématodes Meloidogyne ethiopica et Meloidogyne luci, les insectes Agrilus fleischeri, Agrilus bilineatus et Xylotrechus chinensis, le champignon Sirococcus tsugae, l’acarien Tetranychus mexicanus et le virus Tomato brown rugose fruit virus, ainsi qu’une étude des différents facteurs influençant l’entrée, l’établissement et la dispersion de ces organismes en Belgique. Le CRA-W porteur du projet et le partenaire ILVO se répartissent les tâches.
Au CRA-W, les laboratoires d’Entomologie (Agrilus fleischeri, Agrilus bilineatus et Xylotrechus chinensis), de Virologie (Tomato brown rugose fruit virus), de Mycologie (Sirococcus tsugae) et de Bactériologie (Curtobacterium flaccumfaciens pv. poinsettiae, photo d’illustration) sont impliqués dans les activités de surveys sur le territoire belge (entomologie et mycologie) ou wallon et bruxellois (virologie et bactériologie).
Résultats sur la bactérie Curtobacterium flaccumfaciens pv. poinsettiae
Aspects phytopathologiques
Curtobacterium flaccumfaciens pv. poinsettiae est un pathogène du poinsettia qui s’est avéré être fréquent dans la filière wallonne et européenne du poinsettia. Cette filière est transnationale puisque les plants mères et boutures produits en Afrique sont utilisés par des producteurs en Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Italie, France et Danemark avant d’alimenter le marché belge à la période de Noël.
L’isolement de plusieurs centaines de Curtobacterium et un test de pathogénicité qui provoque le craquement du pétiole de la feuille ont permis de détecter les souches pathogènes, et des analyses génétiques ont montré qu’elles possédaient toutes un petit fragment d’ADN spécifique qui a pu être localisé dans un plasmide. Les plasmides sont des petits morceaux d’ADN généralement circulaires rencontrés à côté du chromosome dans la cellule bactérienne ; ils peuvent être transférés « horizontalement » à une autre bactérie proche ou plus éloignée génétiquement. Trois plasmides apparentés portant les mêmes gènes de virulence ont finalement été purifiés et séquencés. Ces séquences ont permis la mise au point de tests génétiques d’identification PCR et LAMP spécifique à Curtobacterium flaccumfaciens pv. poinsettiae qui détectent un gène de virulence codant pour une polygalacturonase. Les polygalacturonases sont des enzymes qui dégradent la pectine.
Quatre nouveaux types européens de Curtobacterium flaccumfaciens pv. poinsettiae isolés en Wallonie ont déjà été décrits et ils diffèrent des trois types américains initialement décrits. Une diversité génétique marquée existe au sein du pathovar poinsettiae car toutes ces souches sont éparpillées dans deux espèces génomiques différentes dans Curtobacterium flaccumfaciens (des groupements génétiques bien distincts mais non élevés au rang d’espèce). La caractérisation finale de toutes les souches pathogènes isolées en Wallonie durant le projet est encore en cours.
L’hétérogénéité génétique existant au sein des cinq pathovars décrits dans Curtobacterium flaccumfaciens posait question depuis des décennies. Les travaux du CRA-W apportent une explication rationnelle à cette diversité car ils laissent voir que le transfert à une souche initialement non-pathogène d’un plasmide de pathogénicité spécifique à un pathovar rend cette souche pathogène et qu’elle devient alors membre du pathovar en question, même si elle est génétiquement distante de la souche donneuse. En présence d’une souche pathogène, il existe donc un risque d’apparition de nouveaux types pathogènes par transfert du plasmide de pathogénicité.
Les travaux ont également montré que des tests PCR utilisés depuis plus de 20 ans pour identifier la bactérie de quarantaine de l’UE Curtobacterium flaccumfaciens pv. flaccumfaciens pathogène du haricot détectent en fait des séquences trouvées dans trois autres plasmides qui contiennent d’autres gènes de virulence spécifiques cette fois au pathovar flaccumfaciens. Cela montre « l’universalité » de la découverte que des plasmides spécifiques sont responsables de la pathogénicité et du transfert de la pathogénicité à des souches hétérogènes dans l’espèce Curtobacterium flaccumfaciens. Cela souligne aussi le danger que représenterait l’introduction d’une souche de Curtobacterium flaccumfaciens pv. flaccumfaciens porteuse d’un plasmide de pathogénicité dans l’UE car des souches indigènes non pathogènes pourraient le devenir suite à l’acquisition du plasmide de pathogénicité par transfert horizontal depuis la souche pathogène introduite dans l’UE.
Aspects liés au sol
L’étude a également montré que des Curtobacterium flaccumfaciens très variés et d’autres espèces de Curtobacterium sont très abondants sur poinsettia et que la très grande majorité des souches n’a pas de plasmide de pathogénicité et est non pathogène. Cette diversité semble refléter la grande diversité des Curtobacterium mise en évidence par d’autres équipes au niveau de la litière dans le sol sur tous les sites étudiés, où les Curtobacterium participeraient à la dégradation de la matière organique des plantes mortes dans des communautés de litière. Cela semble très probable compte tenu du fait que les Curtobacterium possèdent un nombre considérable de gènes ayant pour fonction la dégradation de polysaccharides structurels des végétaux. Ils joueraient donc un rôle clé dans le cycle du carbone. La décomposition des polysaccharides de la litière intervient dans la perte de carbone par le sol par libération de CO2 dans l'atmosphère, où il est à nouveau assimilable par les plantes et où il participe à l’effet de serre.
Notre étude a aussi montré l’abondance des Curtobacterium chez le blé. Elle met en corrélation des phases de vie endophyte dans des plantes vivantes diverses et dans des plantes mortes où ces bactéries participeraient à la dégradation des tissus végétaux dans la litière. Le changement d’habitat de la plante vivante à la plante morte se fait naturellement avec la mort de la plante. Les souches de la litière peuvent aussi coloniser une nouvelle plante puisqu’une équipe brésilienne a montré que Curtobacterium flaccumfaciens pv. flaccumfaciens vivant dans des débris de culture de haricot était retrouvé sans symptôme dans la culture suivante du système de rotation. L'occurrence généralisée de ces transitions d'habitat est suggérée par la grande diversité des Curtobacterium dans les microbiomes du poinsettia et du blé mise en évidence au CRA-W.
La coexistence de populations très variables de Curtobacterium dans la litière ou dans un hôte commun pourrait également être un facteur écologique clé expliquant la constitution des populations des différentes espèces de Curtobacterium : des contacts relativement fréquents et des échanges d'ADN plasmidique et génomique entre des souches éloignées pourraient avoir lieu. Comme la maladie ne semble être ni une étape nécessaire, ni une pression sélective chez ces espèces, l'évolution pourrait se produire par des pertes et des gains de caractères motivés principalement par les contraintes de la vie dans les systèmes vasculaires de multiples hôtes et dans des tissus végétaux morts, avec certaines combinaisons défavorables à seulement certains hôtes. Des adaptations des populations de litières à des changements environnementaux ont été démontrées par une équipe.
L'intérêt écologique des plantes à héberger diverses populations de Curtobacterium n'est pas clair mais des interactions positives directes avec des plantes ont été mises en évidence par d’autres équipes. Certains Curtobacterium stimulent la défense des plantes contre le stress salin ou favorisent la croissance des plantes. Des souches de Curtobacterium flaccumfaciens réduisent les symptômes de Xylella fastidiosa ou induisent une résistance systémique chez le concombre. Le rôle des Curtobacterium dans la décomposition de polysaccharides de la litière menant au final à la libération de CO2 gazeux, qui est la source de carbone assimilée par les plantes, n’est donc pas leur seul intérêt potentiel pour les plantes. La caractérisation des populations isolées de poinsettia et de blé au CRA-W et leur comparaison aux populations de litières est encore en cours.
Pour en savoir plus
Partenariat :
ILVO
Financement :
SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement